Dans la foulée de la pandémie, le marché des véhicules récréatifs demeure plus que jamais actif et donne peu de signes d’essoufflement. Paradoxalement, l’offre de terrains de camping est en attrition. Certains cessent leurs opérations, tandis que d’autres se convertissent vers une autre vocation souvent immobilière. Dans les Cantons-de-l’Est, un jeune couple est parvenu à contrer cette tendance qui allait rayer de la carte leur camping. Une histoire et un dénouement qui inspirent.
L’endroit n’apparait pas sur le radar des campeurs voyageurs et pour cause car c’est le secret bien gardé de saisonniers bien enracinés et protecteurs de leur joyau. Niché sur le bord d’un joli lac naturel tranquille à Eastman, le Camping Lac d’Argent compte à peine 77 emplacements, aucun de type voyageur.
Ne cherchez pas un camping animé et effervescent. Sa plus grande valeur demeure la quiétude des lieux et c’est justement là que réside tout le charme de l’endroit. Pas de chiens, pas de bateaux moteur, interdit de musique et boisson sur la plage… Il y a peu à faire, mais c’est déjà beaucoup.
Depuis 50 ans, sous la gouverne de 3 propriétaires différents, le camping a préservé les acquis et améliorer les infrastructures sans excès de développement. La clientèle est d’âge mature, stable et aurait pu s’y prélasser pour des années à venir sans s’inquiéter.
Or, coup de tonnerre dans un ciel bleu ! Le site est aussi convoité par des promoteurs conscients de son très haut potentiel de villégiature immobilière. Évalué à 3M$, le terrain est d’une très grande valeur, au sens propre et figuré.
Le propriétaire du lieu depuis une douzaine d’années, Yves Gonthier aurait pu facilement toucher le pactole sans effort, mais il craignait de voir l’investissement d’une vie se dénaturer au détriment de ses campeurs impuissants à résister aux promoteurs qui auraient morcelé le littoral en 6 ou 7 terrains exclusifs.
C’est là qu’entre en scène Angèle Vermette et son conjoint Yan Bellerose. Âgés dans la trentaine, ils ont l’énergie, la volonté et aussi les moyens modernes de mener à terme l’opération sauvetage. Pas question de voir disparaitre leurs souvenirs de beaux étés au moment où leurs deux ados y forgent déjà les leurs.
Bien aguerris aux techniques du numérique, ils ont communiqué de manière conviviale avec tout le monde grâce à des courriels, vidéos, sondages en ligne et ce malgré les obligations de distanciation en temps de pandémie. La votation s’est même faite par voie électronique. L’effet aura été aussi bon qu’une assemblée en présentiel.
Encore fallait-il trouver la juste formule d’adhésion au projet d’acquisition. La création d’un Syndicat de propriété comme dans les copropriété-condos a vitement été écartée. La clientèle majoritairement âgée n’était pas encline à s’hypothéquer lourdement. La création d’une COOP a aussi été écartée.
On a donc choisi de créer une SENC (Société en nom collectif). Formule peu commune et méconnue qui ajoutait à la difficulté de convaincre la majorité… qui pourtant s’est laissée convaincre. Ultimement après leur acquisition, les saisonniers locataires deviendront propriétaires pour un coût annuel inférieur à leur abonnement d’autrefois.
Un notaire saurait expliquer plus longuement cette avenue qui s’apparente à une forme juridique telle l’incorporation. La nouvelle entité sera gérée par un comité de 10 personnes veillant au respect de balises règlementaires strictes.
Ne pouvant être acquis par voie hypothécaire, mais uniquement au comptant ou par prêt personnel, les adhérents ont acheté leur terrain ou un autre ou quelques-uns comme certains et ce, selon l’ordre d’ancienneté.
Les terrains étaient évalués entre 25,000$ et 60,000 $ pour un bord de lac avec en sus une mise de fonds de 4,000$ pour le fonds de prévoyance. La formule a connu un tel succès d’adhésion que seulement 4 terrains ont été vendus à des campeurs n’étant pas déjà saisonniers.
Certains campeurs qui n’étaient pas preneur à l’acquisition demeureront car ils ont choisi l’option de louer un terrain à ceux qui en ont acquis plus d’un. L’esprit de la communauté déjà tricotée-serrée s’en retrouve ainsi préservé.
Mathématiquement, tout le monde sera gagnant-gagnant. Pour le propriétaire du camping, satisfaction non dissimulée d’avoir été bon complice dans la démarche de deux campeurs déterminés qui ont relevé le défi que plusieurs croyaient impossible. Il a d’ailleurs tellement aimé le plan d’affaire choisie pour le sauvetage qu’il s’est aussi porté acquéreur de son propre emplacement.
Après une intense période d’incertitude voilà donc une histoire qui finit bien pour tout le monde, n’en déplaisent aux prospecteurs immobiliers !
Visité août 2022